Le Brexit coûte-t-il 350M£ par semaine ?

Comme vous le savez, les britanniques ont décidé, par référendum, de quitter l’Union Européenne voilà plus de 2 ans. Ce scrutin a été emblématique de la mode des fake news et de leur dénonciation, en raison notamment d’un chiffrage à 350M£ par semaine des contributions nettes du Royaume Uni, chiffre largement surestimé.

Deux ans après le vote, peut-on tirer des conclusions sur son impact économique ? En théorie, il faudrait distinguer un effet conjoncturel d’un effet structurel. L’effet structurel concerne le long terme, et la place du RU dans l’économie européenne. Version pessimiste : privé de marchés européens et de son rôle de grand financier du continent, le pays s’installe dans une morosité économique durable, au profit de Paris ou Francfort. Version optimiste : ne pas appartenir à l’Union n’empêche pas de commercer avec elle, et le RU s’étant spécialisé dans la finance sans avoir jamais adopté l’Euro ne devrait pas voir son hégémonie en la matière contestée.

Difficile de départager ces deux visions sans savoir quel accord sera négocié avec l’Union. Même si l’on connaissait l’issue des négociations, encore faudrait-il disposer d’estimations convaincantes de l’ampleur des gains que tire le RU de son commerce avec l’UE et de sa spécialisation dans la finance. Donc… gros point d’interrogation.

L’effet conjoncturel concerne le court terme : comment les agents économiques vont-ils réagir à cette incertitude ? L’incertitude devrait rendre les consommateurs plus enclins à épargner, les entreprises moins enclines à investir, les gestionnaires de fonds plus enclins à offrir des livres sterling qu’à en demander, ce qui devrait stimuler les exportations… sauf si les partenaires commerciaux sont eux-même rendus frileux par l’incertitude sur les accords commerciaux. L’un dans l’autre, l’effet à court terme devrait être récessif.

So what? Contrairement à ce que j’aurais très volontiers parié il y a deux ans, il n’y a pas eu de récession. Le chômage a continué de diminuer, le PIB réel de monter. Je n’étais pas le seul, il y a deux ans, à penser que le Brexit faisait supporter un risque à l’économie britannique. A part Dani Rodrik qui exprimait un point de vue assez modéré, la plupart des économistes pronostiquaient un coût élevé. Je me souviens de m’être trouvé, à cette époque, dans une conférence d’économie internationale qui se tenait en Espagne. 100% des économistes présents avec qui j’ai pu échanger sur le sujet considéraient que le Brexit serait catastrophique. Je ne peux exclure qu’ils aient raison à long terme, mais pour le moment, la catastrophe n’a pas lieu.

J’aimerais tant que l’économie soit une science suffisamment mure pour que fleurissent des articles prenant acte du fait que l’immense choc politique qu’a constitué le Brexit ne s’est pas traduit par une récession. Au lieu de ça, le pourtant très sérieux CEPR publie la deuxième version d’un working paper (résumé sur Vox) qui chiffre la perte de PIB à, tenez-vous bien… 350M£ par semaine. Autrement dit, l’économie que les britanniques étaient censés réaliser grâce au Brexit selon ses partisans se trouve, aujourd’hui, correspondre à ce qu’il leur coûte selon ses détracteurs.

Simon Wren-Lewis, qui en est, explique que l’investissement et les exportations n’ont pas été stimulés, ce qui prouve que les agents économiques anticipent correctement un futur sombre, mais que la consommation n’avait pas chuté, ce qui doit venir du fait que les ménages n’anticipent pas très bien le futur sombre qui les attend.

Ce working paper, hélas, est assez peu convaincant. Le principe du calcul est le suivant : il s’agit de comparer l’évolution du PIB britannique à un contrefactuel. Pour construire le contrefactuel, les auteurs construisent une moyenne des évolutions des PIB en volume des autres pays de l’ocde de 1995 à début 2016. La moyenne n’accorde pas le même poids à chaque pays, mais se base sur un système de pondérations choisies de manière à ce qu’elle se rapproche autant que possible du PIB britannique sur cette période pré-brexit. Étant donnée l’évolution économique sur la période (crise de 2008 + reprise pour tout le monde), il n’est pas très surprenant qu’on puisse trouver un jeu de pondérations qui permette de reconstituer le PIB britannique presqu’exactement.

Les pondérations sont données dans cette table :

En gros, le contrefactuel est une moyenne des PIB du Japon, de la Hongrie, des USA, du Canada, et de quelques autres. Le coût estimé du brexit correspond donc à l’écart entre la courbe du PIB britannique et celle du contrefactuel.

Cet écart de plus d’un point de PIB est-il significatif ? Les lecteurs ayant l’habitude de l’inférence statistique seront tentés de répondre par l’affirmative en constant que la courbe bleue sort de la zone grise autour de la courbe rouge, qui matérialise un intervalle de confiance. Or cette zone grise a été construite de la pire manière qui soit : en ajoutant et en retranchant 1 (oui, bien 1) écart-type de l’écart entre le PIB britannique et son contrefactuel. En admettant que cet écart suive une loi normal sous l’hypothèse d’une absence de décrochage, il s’agit alors d’un intervalle de croissance à 68%, ce qui est loin des 95% constituant la norme pour valider un résultat statistique.

Voici à quoi ressemble une loi normale avec + ou – 1 écart-type autour de la moyenne :

J’ai tenté de répliquer le calcul des auteurs, en me basant également sur les PIB des pays de l’OCDE. A la différence d’eux, je ne calcule pas une moyenne, mais je fais de façon plus classique une régression expliquant le PIB britannique par le PIB des autres pays de l’OCDE. Comme eux, et sans surprise, je trouve une très bonne superposition des courbes jusqu’au brexit, et pas après, puisque la régression n’intègre les données que jusqu’au brexit. Comme eux, je trouve un PIB réel qui s’écarte du contrefactuel.

Pour être franc, l’écart semble même plus important que celui trouvé par les auteurs (environ 3 points de PIB). Zoomons

Cela s’explique par le fait que les USA, qui ont connu une croissance élevé ces derniers trimestres, compte davantage dans ma simulation que dans la leur.

Mais la vraie différence tient au fait que j’indique, pour ma part, un intervalle de confiance à 95% et non à 68%. Et l’on constate que le PIB observé flirte avec la frontière inférieure de l’intervalle. Cela signifie que toute interprétation de l’écart entre les deux courbes doit être extrêmement prudente. Méfions-nous de l’impression visuelle trompeuse. En effet, il saute aux yeux que les deux courbes sont presque confondues avant le brexit, et qu’elles se détachent visiblement après. Mais n’oubliez pas que, par construction, la partie post-brexit n’est pas prise en compte dans le choix des paramètres. Si l’on avait pris en compte la totalité de la période, jusqu’à 2018, on aurait obtenu le graphique suivant :

sans aucun effet détectable du brexit.

Croyez-moi, j’aurais préféré, pour le lustre de ma discipline et pour flatter mes propres a priori, que le Brexit soit un fiasco, que le Japon s’enlise dans un populisme macroéconomique inflationniste et que les USA entrent en récession à cause des politique de Trump. Pour l’heure ces choses n’ont pas l’air de se produire. Ironie de l’histoire, c’est même parce que l’Abenomics et le Trumpisme s’accompagnent, pour le moment, d’une assez bonne croissance que, par comparaison, le Brexit semble être couteux.

La prévision n’est décidément pas le fort des économistes.

(PS: je fournis les fichiers et codes R des calculs présentés dans ce billet sur demande)

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