Ainsi donc, après François Fillon et Bruno Leroux, c’est au tour de Richard Ferrand de faire scandale pour avoir embauché des proches en tant qu’assistants parlementaires. Comme il se murmure que le nombre de parlementaires concernés par cette pratique est à trois chiffres, on peut s’attendre à ce que des journalistes malicieux nous distillent les noms au compte goutte à mesure que tel ou tel membre de la liste passera sur le devant de la scène (devenant ou s’apprêtant à devenir ministre, président de région, maire d’une grande ville…). Pour ce qui est des pratiques passées, il n’y a pas grand chose d’autre à faire que d’attendre le grand déballage, en souhaitant qu’il soit le plus rapide possible, et en espérant que la classe politique ne renouera pas avec la détestable pratique de la loi d’amnistie qui avait entaché les années 90 en France.
Que faire pour que ces pratiques disparaissent à l’avenir ? Il existe une solution très simple et dont je n’entends personne parler : diviser par 2 le budget alloué aux parlementaires pour l’embauche de leurs assistants. Car au-delà de ce que révèlent ces affaires sur la probité de nos parlementaires, ce qu’elles nous apprennent de façon plus fondamentale est que les quelques 10’000 euros mensuels de salaires bruts que chaque parlementaire peut consacrer à ses assistants parlementaires sont tout simplement excessifs. Si, pour exercer correctement leur mandat, les députés avaient vraiment besoin de trois ou quatre assistants à temps plein, ils n’embaucheraient leur conjoint qu’à titre exceptionnel, dans les cas où celui-ci aurait des compétences particulières, en phase avec les attentes du métier. Je suis prêt à parier que les ministres utilisent une fraction bien moindre du budget de rémunération de leurs cabinets à embaucher des proches. Et ce pour une raison simple : il est impossible de gérer un ministère sans être entouré de gens compétents et professionnels. Gaspiller de l’argent en embauches de complaisance est un luxe vraisemblablement plus difficile à se permettre pour un ministre que pour un député.
En entendant parler d’assistants parlementaires, les amateurs de séries ont probablement en tête des scènes de House of Cards, ou 24, ou encore Designated Survivor, dans lesquelles un ministre, un sénateur ou tout simplement le président est entouré de 3 ou 4 jeunes diplômés de Harvard surexcités, lui conseillant, pour l’un, d’accepter tel accord proposé par le chef de la majorité républicaine, pour l’autre de le refuser pour éviter de troubler son image, et pour le troisième de temporiser en faisant une contre-proposition qu’il pourra faire passer par un de ses contacts travaillant pour l’autre camp.
Ce genre de conseillers de l’ombre existent certainement, dans l’entourage des ministres, des chefs de partis, voire des présidents de groupe au parlement. Mais il est assez douteux que le quotidien des assistants parlementaires ressemble à cela. L’assemblée a publié en 2013 un rapport sur les assistants parlementaires dont ressortent les points suivants : ce ne sont pas de vieux briscards de la politique. 60% d’entre eux ont moins d’un an d’ancienneté (en 2013, soit un an après les dernières législatives. On peut penser qu’ils ont aujourd’hui 4 ans d’ancienneté en plus). L’essentiel des députés a au moins 3 assistants, plus de la moitié en a au moins 4. La plupart d’entre eux n’ont donc probablement pas un salaire mirobolant. Le salaire de base brut moyen est de 2146 euros, soit bien moins de 2000 pour le net.
Les députés fabriquent des lois. On pourrait imaginer qu’ils se payent les services de sommités de la science juridique. A ce prix-là, il n’en est rien. Les idées, les conseils, la technicité, tout cela est apporté par les ministères qui préparent les projets de loi, ou par des think tanks, ou par les partis politiques directement. La chaîne parlementaire diffuse régulièrement des séances de travail au cours desquelles les députés interrogent des spécialistes des questions sur lesquelles une loi est prévue. C’est à ces occasions également que les députés acquièrent la technicité et la connaissance des problèmes qui leur permettent d’apporter des contributions pertinentes à la création de la loi. Manifestement, les assistants parlementaires ne sont pas au premier plan dans ce processus (je parle de l’extérieur, tout assistant parlementaire lisant ce billet est invité à me contredire en commentaire).
Cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas utiles. Il semble évident qu’un député ait besoin d’un assistant pour organiser des réunions, préparer son agenda, filtrer sa correspondance, etc. On peut facilement imaginer que les députés souhaitent avoir un collaborateur accomplissant ces tâches à Paris, et un autre en circonscription. Mais quid du troisième (dans 92% des cas), et a fortiori du quatrième (58%) ? Les lois serraient-elles plus mauvaises en leur absence ?
Je fais la différence, en termes de probité, entre un député qui embauche une personne avec qui il partage un compte bancaire, et un député qui embauche un jeune militant de son parti en année de césure dans le cadre de son cursus science po, éventuellement fils d’un cadre du parti. Mais la différence n’est pas si grande. Dans le second cas, le député consolide un réseau de personnes qui lui sont redevables, et qui font grâce à lui leurs premiers pas dans la cour des grands.
Un des arguments avancés par certains défenseurs maladroits de François Fillon dans les premiers temps de son affaire était : « Si Mme Fillon n’avait pas fait le travail pour lequel elle était payée, qui donc l’aurait fait bénévolement à sa place ? ». Le couple Fillon est présumé innocent, mais si la justice devait confirmer la lecture du parquet financier, elle ferait ainsi la démonstration qu’on peut être un député tout à fait valable en renonçant aux services normalement payés par la moitié de la masse salariale dédiée aux assistants.
Si cette dotation est, comme j’incline à le penser, surdimensionnée, alors les solutions mises en avant dans le débat public ratent leur cible. Faut-il interdire aux députés d’embaucher des membres de leur famille ? S’il y a une part de complaisance dans ces embauches, je suis parfaitement indifférent, en tant que contribuable, aux relations familiales qui lient celui qui les alloue à celui qui en bénéficie. C’est la complaisance en tant que telle qui me gêne. Faut-il obliger les parlementaires à recruter des assistants issus de formations agréées ? Il est évident que l’assistant parlementaire est une personne de confiance, et on ne saurait décemment obliger un député à recruter quelqu’un issu de telle ou telle formation, s’il n’a pas de personne de confiance dans le lot. Faut-il contrôler l’effectivité du travail effectué ? Si les ressources étaient correctement calibrées, pas besoin de contrôler une activité par ailleurs assez difficile à contrôler (faut-il qu’une commission ad-hoc se voie remettre la totalité de la correspondance traitée par l’assistant ?), car il est dans l’intérêt du député qu’elle soit bel et bien effectuée.
Diviser par 2 le budget des assistants parlementaires éviterait les abus des députés, leur permettrait de garder un contrôle sur les embauches et une certaine confidentialité sur le contenu des échanges avec leur assistant, et ferait économiser quelques 30 millions d’euros par an aux finances publiques. Mon petit doigt me dit que ça ne suffit pas pour qu’une telle mesure soit adoptée par les parlementaires.