Un des sujets intéressants à étudier pour les spécialistes d’économie monétaire, dans le contexte actuel, est la capacité, ou plutôt l’incapacité, pour la BCE, à localiser les effets de sa politique monétaire.
Imaginons que la BCE puisse créer plus ou moins de monnaie selon les pays membres de la zone. Si c’était le cas, partager la même banque centrale ne serait pas un problème, puisqu’elle pourrait adapter sa politique aux besoins (différents) des différents pays. Mais on comprend bien que si la BCE créait davantage de monnaie en Grèce qu’en Allemagne (enfin, en corrigeant pour la taille des pays), par exemple en alimentant davantage en liquidité les banques grecques que les banques allemandes, l’excédant monétaire pourrait rapidement franchir les frontières pour se retrouver en Allemagne, où il est plus tentant pour les banques d’accorder des prêts.
La question de l’endogéneité de la monnaie est vieille (pour votre culture, voir l’opposition entre la banking school et la currency school). Pour résumer grossièrement, les partisans de l’exogéneité de la monnaie considèrent que les variations de la masse monétaire, décidées par la banque centrale (ou par le hasard des découvertes de mines d’or lorsque la création monétaire était conditionnée aux réserves d’or) ont une influence sur l’activité économique nominale.
Pour les partisans de l’endogéneité de la monnaie, c’est au contraire l’activité économique qui suscite la création monétaire, car celle-ci transite par l’octroi de crédits, qui eux-même dépendent des opportunités d’investissement, et donc de l’activité économique.
Il va de soi qu’il est tout à fait possible de considérer que la monnaie a une composante endogène et une composante exogène, mais il est difficile de ne pas penser à la composante endogène lorsque l’on voit les graphiques suivants, faits avec des données de la banque mondiale :
Ces graphiques mettent en lumière une nouvelle difficulté liée à la conduite d’une politique monétaire commune eu Europe. Cette difficulté est que si les crédits sont accordés plus aisément dans les pays où l’activité économique est forte, alors pour une même valeur des outils de politique monétaire (création de liquidité ou taux d’intérêt), la création monétaire est plus importante dans les pays ayant la meilleure conjoncture. C’est à dire dans les pays qui en ont le moins besoin.
Cet effet est particulièrement visible sur le premier graphique, c’est à dire pour M1, autrement dit, pour la monnaie au sens strict (billets + comptes courants. cf agrégats monétaires). En 2010, la Grèce, l’Italie et l’Irlande avaient moins de monnaie qu’en 2009, alors que la France et l’Allemagne en avaient plus. Dans l’ensemble, la masse monétaire a bien augmenté de 2009 à 2010 (même si cette augmentation est plus faible que l’année précédente), mais cette augmentation globale masque des disparités entre les pays où elle a augmenté et ceux où elle a diminué.
Milton Friedman considérait que l’évolution de M2 est un bon prédicteur de l’activité économique avec quelques mois de décalage. Si j’étais Friedmanien et irlandais, le second graphique me ficherait une sacrée frousse.