La mode est au NGDP targeting dans les milieux autorisés. Le NGDP targeting consiste à demander aux banques centrales de se fixer comme objectif de faire croitre à taux constant le PIB nominal (le Nominal Gross Domestic Product en anglais). La croissance du PIB nominal correspond à la somme de la croissance telle qu’on l’entend d’ordinaire (la croissance « réelle » ou « en volume ») et du taux d’inflation. L’idée est que le PIB réel est censé croître à un rythme relativement régulier, de même que les prix. Un accroissement plus lent que prévu du PIB nominal contient un risque de récession (ou de baisse de la croissance), tandis qu’une croissance plus forte que prévu risque de se traduire par un excès d’inflation. Ainsi, si le taux s’avère inférieur à l’objectif, la banque centrale mettra en œuvre une politique accommodante (baisse des taux, création de liquidités) pour éviter un ralentissement de l’activité. Si, au contraire, le taux est supérieur à l’objectif, la banque centrale augmentera ses taux pour éviter une dérive inflationniste. Le NGDP targeting apparaît comme une manière de faire coïncider les deux objectifs que partagent la plupart des banques centrales : stabilité des prix et soutien à l’activité. La blogosphère (surtout anglo-saxonne) regorge de discussions sur les avantages et inconvénients de cette idée. Mon propos ici est de me demander ce que pourrait être l’objectif de croissance du PIB nominal dans la zone euro. La réponse, hélas, semble varier selon les pays.
Je n’aurai sans doute pas de prix Nobel pour ça, mais je propose une piste. Elle consiste à utiliser, pour définir l’objectif de croissance nominale, un concept adapté du fameux NAIRU : le Non Accelerating Increasing Unemployment Rate Of Nominal Growth, autrement dit le NAURONG NIURONG. L’idée est simple : si le NGDP targeting est efficace, alors il ne devrait conduire à une stabilité économique, se traduisant par un chômage constant. S’il existe un lien entre le taux de croissance du chômage (gu) et le taux de croissance nominale (gn) tel que gu=a – b * gn, alors le chômage sera constant (gu=0) si gn=a/b. Il nous faut donc une estimation de a et b pour calculer le NIURONG.
Évaluer sérieusement a et b est au-dessus de mes compétences. Je peux en revanche les estimer approximativement, avec toutes les précautions d’usage (merci aux commentateurs les plus féroces de bien noter que cette phrase n’est pas qu’une précaution oratoire de principe !).
J’ai constitué un petit jeu de données sur la macroéconomie de la zone Euro. Ces données proviennent d’Eurostat, sauf en ce qui concerne les agrégats monétaires par pays, qui proviennent des banques centrales nationales de la zone. Je n’utiliserai ici que deux variables : le nombre de chômeurs et le PIB nominal.
Les données sont mensuelles. En fait, elles sont vraiment mensuelles pour les statistique monétaires. Pour les autres données, elles sont trimestrielles, mais mensualisées par interpolation linéaire, ce qui induit peut-être un biais concernant la pertinence des tests de significativité (le nombre de degrés de liberté est certainement surestimé).
Bref. Je calcule, pour ces deux séries (chômage et NGDP) des taux de croissance sur six mois (ce qui me semble être un découpage raisonnable à vue d’œil), sur la période janvier 2003 – juillet 2011.
Dans le cas emblématique de la Grèce, une simple régression linéaire donne le résultat suivant :
On a donc, pour la Grèce gu=9-3gn. Par conséquent, le taux de croissance semestriel du PIB nominal devrait être de 9/3=3% pour stabiliser le chômage, ce qui correspond à un rythme annuel de 6% (si vous me passez les intérêts composés négligeables).
La Grèce aurait donc besoin, d’après ce calcul, d’une banque centrale ayant comme objectif de faire croître de 6% par an le PIB nominal.
Il y a peu de chances que la BCE se fixe un jour cet objectif. En effet, répéter cet exercice sur chaque pays de la zone euro (à 12, c’est à dire les 12 pays membres de la zone à l’origine), révèle l’existence de trois groupes de pays bien distincts (les résultats pour le Luxembourg ne sont pas significatifs) :
1) les pays à fort NIURONG :
Grèce 6%
Espagne 6.6%
Portugal 8,4%
Irlande 9.6%
2) les pays à NIURONG modéré :
Pays Bas : 2.6%
Autriche : 4,2%
Belgique : 3,6%
Finlande : 3%
France : 3,4%
Italie : 2,2%
3) Le pays à NIURONG nul :
Allemagne -0,2%
Je suis bien conscient des limites méthodologiques de ce petit exercice. J’espère pour la zone Euro et pour l’amitié germano-irlandaise qu’elles suffisent à expliquer cette apparente disparité des structures macroéconomiques.