Qui a inventé la courbe de Phillips ? (c’est Keynes bien sûr…)

James Forder, historien de la pensée économique d’Oxford, est entré en guerre contre la manière dont on présente habituellement l’histoire de la courbe de Phillips. Ses idées sont reprises par deux interventions passionnantes aux dernières Journées de l’économie : une de Goulven rubin, une autre d’André Orléan . Le « mythe » qu’il combat peut se résumer de la manière suivante :

1- Il manque une théorie de l’inflation à la théorie Keynésienne

2- William Phillips établit statistiquement un lien négatif stable entre inflation et chômage dans les années 50.

3- Les keynésiens d’après guerre en font le chaînon manquant de la théorie keynésienne : les pouvoirs publics doivent faire un choix entre {inflation faible + chômage élevé} et {inflation forte + chômage faible}

4- Friedman critique cette vision des choses qui ne tient pas compte de l’ajustement des anticipations qui dégrade les termes de l’arbitrage entre inflation et chômage

5- La stagflation des années 70 lui donne raison

Pour Forder, cette histoire est fausse. Phillips lui-même ne croyait pas vraiment en la stabilité de sa courbe, comme il l’aurait confié très tôt au jeune Friedman. Certes, Solow et Samuelson, dès 1960, s’appuient sur les travaux de Phillips pour dire qu’il existe un choix entre inflation et chômage, mais ils le font dans un article qui dit explicitement que les anticipations d’inflation peuvent changer, et donc que les termes de ce choix ne sont pas constants. Les artisans de la révolution de la macroéconomie des années 70, Friedman et Lucas, ont fait évoluer la discipline en mettant l’accent sur l’importance des règles pour l’un, et sur l’intérêt de raisonner sur des modèles d’équilibre général dynamiques pour l’autre. Mais dire qu’ils ont expliqué à une génération de keynésiens incrédules que les anticipations d’inflations étaient un facteur d’inflation et donc que l’arbitrage inflation-chômage ne tenait pas dans le long terme est tout simplement faux.

J’avoue être un peu ébranlé par ces révélations, car je croyais à ce mythe avant de découvrir les travaux de Forder.

Sur cet aspect de la question, je n’ai pas grand chose à ajouter, d’autant que je ne suis pas un historien de la pensée économique.

En revanche, je tique un peu sur le premier point ci-dessus, qui ne semble pas être le focus de Forder, et qui ressemble à un mythe lui-aussi. il s’agit de l’idée selon laquelle la théorie keynésienne ferait l’impasse sur l’inflation. Que la courbe de Phillips puisse être présentée comme le chainon manquant de la théorie keynésienne m’horripile. Je n’aime pas beaucoup la théorie générale de Keynes (difficile à lire, trop de précaution sur les limites de ce qu’il dit avant même qu’il ne le dise, pas assez direct…). Mais un des rares chapitres qui m’ait un peu marqué est le dernier, appelé « la théorie des prix », qui élabore quelque chose que n’importe qui, aujourd’hui, reconnaitrait comme étant une courbe de Phillips (avant l’heure, bien sûr).

Keynes commence par raisonner sur deux cas polaires : le chômage dans tous les secteurs vs le plein emploi.

Dans le premier cas, pour keynes, les prix sont rigides car, malgré le chômage, les travailleurs s’arrangent pour que leur salaire nominal ne diminue pas. L’inflation est donc nulle. Elle devrait être négative, mais les arrangements institutionnels font qu’elle est juste nulle. Par conséquent, dans ce cas, la courbe de Phillips est horizontale.

Dans le deuxième cas, celui du plein emploi, l’augmentation de la demande ne pouvant être satisfaite par des quantités, elle se traduit par de l’inflation. Autrement dit, la courbe de Phillips est, dans ce cas, verticale. Ces deux cas polaires sont résumés dans l’extrait suivant :

[…] l’accroissement de la quantité de monnaie ne produit absolument aucun effet sur les prix tant qu’il reste du chômage […]. Aussitôt que le plein emploi est atteint, ce sont, au contraire, [les salaires] et les prix qui s’élèvent dans une mesure exactement proportionnelle à l’augmentation de la demande effective.

Plus loin, il explique qu’en réalité, certains secteurs peuvent être au plein emploi avant d’autres, si bien qu’entre ces cas polaires, la courbe de Phillips est penchée :

Dans la réalité […] les prix, au lieu d’être constants lorsqu’il existe du chômage et d’augmenter proportionnellement à la quantité de monnaie lorsque le plein emploi est réalisé, montent progressivement à mesure que l’emploi augmente.

A moins que je rate quelque chose, ce chapitre peut être résumé par le graphique suivant :

Pour moi, pas de doute, c’est une courbe de Phillips.

Je le répète, je ne suis pas historien de la pensée. Pour un historien de la pensée, ce point est peut-être trivial. Mais il ne me semble pas inutile de le rappeler. Les manuels de macroéconomie qui s’appuient (encore !) sur IS-LM ont tendance à expliquer que la théorie keynésienne est une théorie à prix fixes, et que la « synthèse classico-keynésienne » s’obtient en y ajoutant une courbe d’offre globale, ou une courbe de Phillips.Il n’y a pas de synthèse qui tienne : cette courbe est déjà présente dans la théorie générale.


Bien sûr, il ne s’agit pas de dire que rien n’a été inventé après Keynes. La première chose qui saute aux yeux, est que rien ne se passe au-dessus de ce qu’il appelle le ‘plein emploi’. En termes contemporains, on appellerait cette situation ’emploi d’équilibre’ plutôt que ‘plein emploi’. L’idée étant qu’on peut obtenir un niveau d’emploi supérieur à l’équilibre (baisse du chômage frictionnel, accroissement du temps de travail) mais moyennant une accélération de l’inflation. Autrement dit, un macroéconomiste d’aujourd’hui expliquerait certainement que la cible de la politique monétaire ne devrait pas être ce niveau d’emploi associé à une courbe de Phillips verticale, mais probablement un niveau inférieur.

Deuxième chose absente : les fameuses anticipations changeantes, qui rendent instable la relation inflation-chômage.

Cela dit, sur ces deux points, il faut faire la part des choses entre ce que Keynes n’avait pas vu et ce qui n’était tout simplement pas important dans le contexte des années 1930. Avec des taux de chômage atteignant les 25% dans certains pays développés, il n’est pas surprenant qu’on se focalise sur la manière de repasser de 25% à environ 0%, sans trop s’attarder sur le point de savoir si l’inflation dégénère à 0% ou un peu avant.

Quant à l’inflation, elle oscillait entre des valeurs négatives et très faiblement positives pendant la grande dépression, la question de son emballement n’était simplement pas d’actualité. La théorie générale a beau se prétendre ‘générale’, elle a quand même un contexte. Doit-on en conclure que Keynes pensait que l’arbitrage inflation-chômage était à termes constants ? Ce serait faire l’impasse sur ses écrits des années 1920 (compilés dans les essais sur la monnaie) dans lesquels il indique très explicitement que l’inflation et la déflation ont des effets réels uniquement parce qu’elles ne touchent pas tous les prix de façon uniforme.

Pour moi, pas de doute, c’est une courbe de Phillips.

Je le répète, je ne suis pas historien de la pensée. Pour un historien de la pensée, ce point est peut-être trivial. Mais il ne me semble pas inutile de le rappeler. Les manuels de macroéconomie qui s’appuient (encore !) sur IS-LM ont tendance à expliquer que la théorie keynésienne est une théorie à prix fixes, et que la « synthèse classico-keynésienne » s’obtient en y ajoutant une courbe d’offre globale, ou une courbe de Phillips.Il n’y a pas de synthèse qui tienne : cette courbe est déjà présente dans la théorie générale.


Bien sûr, il ne s’agit pas de dire que rien n’a été inventé après Keynes. La première chose qui saute aux yeux, est que rien ne se passe au-dessus de ce qu’il appelle le ‘plein emploi’. En termes contemporains, on appellerait cette situation ’emploi d’équilibre’ plutôt que ‘plein emploi’. L’idée étant qu’on peut obtenir un niveau d’emploi supérieur à l’équilibre (baisse du chômage frictionnel, accroissement du temps de travail) mais moyennant une accélération de l’inflation. Autrement dit, un macroéconomiste d’aujourd’hui expliquerait certainement que la cible de la politique monétaire ne devrait pas être ce niveau d’emploi associé à une courbe de Phillips verticale, mais probablement un niveau inférieur.

Deuxième chose absente : les fameuses anticipations changeantes, qui rendent instable la relation inflation-chômage.

Cela dit, sur ces deux points, il faut faire la part des choses entre ce que Keynes n’avait pas vu et ce qui n’était tout simplement pas important dans le contexte des années 1930. Avec des taux de chômage atteignant les 25% dans certains pays développés, il n’est pas surprenant qu’on se focalise sur la manière de repasser de 25% à environ 0%, sans trop s’attarder sur le point de savoir si l’inflation dégénère à 0% ou un peu avant.

Quant à l’inflation, elle oscillait entre des valeurs négatives et très faiblement positives pendant la grande dépression, la question de son emballement n’était simplement pas d’actualité. La théorie générale a beau se prétendre ‘générale’, elle a quand même un contexte. Doit-on en conclure que Keynes pensait que l’arbitrage inflation-chômage était à termes constants ? Ce serait faire l’impasse sur ses écrits des années 1920 (compilés dans les essais sur la monnaie) dans lesquels il indique très explicitement que l’inflation et la déflation ont des effets réels uniquement parce qu’elles ne touchent pas tous les prix de façon uniforme.

Milton Friedman aurait dit « nous sommes tous Keynésiens« . Pour le coup, ça n’est pas mythe.

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